Je le vois venir et c'est très beau... et très moche en même temps...
Peu à peu, jour après jour, individu après individu, chacun à son rythme, même s'il n'en a pas conscience, chacun est en train de se rendre compte d'une chose : que son premier besoin, celui qui surplombe tous les autres est de disposer de façon permanente ( — je dis disposer car peu importe, ici, les modalités —) de un à trois hectares de nature vivante, de terre arable, avec des arbres, des oiseaux et des écureuils.
Je vois clairement chacun se diriger vers ça malgré son être scolarisé convoqué en permanence et en accord avec son moi profond sans cesse renvoyé aux calendes grecques.
Beaucoup — la majorité — sont encore très loin de cette vérité, mais je vois bien que leurs erreurs les en rapprochent à chaque instant sans qu'ils s'en rendent clairement compte.
Je vois ce qui, dans leurs pas qui trébuchent sans cesse, sera bientôt nouveau lot de preuves supplémentaires pour qu'ils finissent par découvrir la nature de leur véritable besoin.
Et « peu à peu, tout se fond en un, et au milieu coule une rivière » disait le film de Robert Redford.
Mais qu'est-ce qu'ils mettent un temps fou pour se rassembler, en eux-mêmes et avec les autres...
Je les regarde faire, je les regarde découvrir continuellement l'incommensurabilité des vanités de ce monde, qui conduit, non pas dans l'impasse, mais à cette vérité des satisfactions premières. Mais c'est assez incroyable de constater l'endurance dont est capable l'être humain pour passer d'une vanité à l'autre, d'une vanité à une vanité un peu moins vaniteuse, mais sans jamais balayer d'un seul coup toutes les vanités.
Alors, petit à petit, très lentement, trop lentement, se dessine pour chacun la résultante de toutes ces vanités consommés, de toutes ces abdications desquelles on se relève plus fort à chaque fois. Car abdiquer vis-à-vis des vanités de ce monde, une à une, est la meilleure chose à faire. Et cette résultante est TOUJOURS et pour chacun : le lopin de terre. Chaque homme passe de vanité en vanité, pour finir par comprendre CE QU'IL FAUT DE TERRE A L'HOMME, donc ce qui lui faut de terre, à lui, qui est AUSSI un homme, comme les autres (comme ceux d'hier, d'aujourd'hui, et de demain, — n'en déplaisent aux transhumanistes —).
Car toutes nos vanités, c'est-à-dire toutes ces activités vaines en société (— et toutes les activités sont vaines en société —) servent uniquement à engranger du capital argent ou relationnel visant à combler momentanément nos besoins essentiels. Peu à peu chacun comprend que ça tourne à vide, que la compétition sociale nous ramène sans arrêt au point de départ. Mais chaque tour de roue supplémentaire fait apparaître dans l'esprit un nouveau bout de la lande sauvage qui permettrait d'éviter chacun de ces tours de roue (passés, présents et à venir si on ne prend pas des mesures). Peu à peu, on comprend que tous nos besoins pourraient directement être comblé par le fait de disposer d'une terre.
Mais une nouvelle vanité vient faire écran à chaque fois.
Et tant qu'il reste, ne serait-ce qu'une seule vanité en stock, les gens continuent de se refuser le constat terminal : ce que j'ai besoin par dessus tout, c'est d'une terre, car je suis homme sur la terre. J'ai besoin de me nourrir, de m'abriter, de me vêtir, de rendre mes déjections à la terre, de boire l'eau de la source, de contempler les étoiles au son de la chouette. J'ai besoin d’œuvrer au soleil dans un concert de chants d'oiseaux et entouré de fleurs et de papillons... Le reste n'est que... VANITÉ.
Ils me disent tous que ce n'est pas encore le moment, qu'ils aient 15 ans, 20 ans, 40 ou 70. Ils ont tous leurs excuses. Je le dis souvent : chaque être social dépense la totalité de son énergie afin d'éviter deux choses : LA TERRE et LA POLITIQUE (qui sont pourtant les deux choses qui leur rendraient tout d'un seul coup). Ils ont apparemment encore tellement de vanités à explorer. Et pourtant je les vois tous se diriger vers ça, vers leur terre promise. Je vois d'avance ce qui sera très bientôt VAIN et INUTILE dans leurs actions, et qui va augmenter dans leur cœur, d'un pouce, la pertinence totale et absolue du lopin de terre, seule chose pour l'homme qui n'est pas vaine, car c'est le seul endroit, le seul vrai temple, où Dieu nous répond enfin.
Mais c'est beau et moche en même temps, car la vie passe, de vanités en vanités. Et la question qui apparaît c'est : en combien de morceaux vont-ils tous rejoindre leur terre promise ? Ils sont bientôt tous, « à ramasser à la petite cuillère »...
Le plus épatant et incroyable avec la philosophie c'est que les hommes sont déjà passés par là et que tous les livres parlent de cela.
Et donc, beaucoup savent bien que c'est ça le point d'arrivé, que toutes nos erreurs nous y conduisent, mais ils semblent vouloir l'atteindre à leur mort seulement. Alors je donne une définition du bonheur : il nous faut atteindre ce point, le point d'arrivée, le plus tôt possible, lorsqu'on est encore bien vivant. Et l'on découvre, touché par la grâce, que le point d'arrivée est le seul vrai départ.
Sylvain Rochex