Vivre sa vie comme au dernier jour (2 textes)
Les gens vont tellement mal... et tellement de plus en en plus mal... C'est là, sous nos yeux : une société en tout point cancéreuse. Nous avons atteint ce point où le prêt-à-penser délivré en continu par la propagande ne suffit plus pour maintenir les personnes dans une illusion de stabilité, où le voile de la propagande et du mensonge global se déchire. Mais il semble que la majorité n'est pas outillée pour affronter l'abîme qui s'ouvre sous leurs pieds. Ils sont exactement dans cet image du sable mouvant où les gestes effectués, au lieu de les faire progresser vers une résolution, aggravent les choses toujours plus. C'est franchement le bordel intégral dans les esprits et la violence sous toutes ses formes est évidemment là. La propagande est allée trop loin dans la dissolution du sens, dans le désordre neuronal. Les individus nés du nouvel esprit du capitalisme et au bout de 130 ans d' " Éducation Nationale " et 3 siècles d'anthropocène, sont de purs handicapés, en état de dégénérescence accéléré : tous névrosés, tous drogués, tous inaptes, tous dispersés, atomisés, paumés et pire encore.
Castoriadis, qui est mort en 1997, parlait déjà à longueur de pages d'une « basse époque », antiphilosophique, antithéâtrale, antipolitique, où la privatisation devient globale, l'apathie politique totale, ayant comme conséquence une destruction tout aussi globale. J'essaie souvent d'imaginer ce qu'auraient écrit en 2015 des auteurs comme Cornélius Castoriadis, Jacques Ellul (parti en 1994), ou Ivan Illich (parti en 2002) ; chacun aurait pu mettre en perspective tous leurs écrits antérieurs (non sans terreur absolue). Par exemple, je repasse beaucoup de temps en ce moment avec « La Parole Humiliée » de Jacques Ellul, qui est un livre (essentiel) sur le polémos radical qui existe entre l'Image et la Parole. Jacques Ellul l'a écrit en ayant face à lui le totalitarisme émergent de l'audiovisuel qui n'était même pas encore à son zénith et il n'a pas connu Internet, Youtube et Cie. Je suis convaincu qu'Ellul aurait pu écrire la suite : « La Parole Exterminée » en gardant le même argumentaire tout en l'actualisant face au monstre Internet. Avant lui, Guy Debord et les situationistes avaient aussi tiré les sonnettes d'alarmes sur le problème de l'Image et la spectacularisation du monde. Mais où en sommes-nous ? Nous sommes dans le mur depuis bien longtemps. Il n'y a guère que le réseau de Bernard Stiegler pour oser continuer de rappeler à tous que « le feu », ça brûle, que l'être humain est un être pharmacologique et que cela implique l'activité philosophique correspondante (à la puissance des pharmaka à l'oeuvre), et la quête acharnée de processus neguentropiques, épiméthéens, sinon c'est la mort assurée.
L'homme manque de tout et radicalement de philosophie. Voici donc, ci-dessous (plus bas), deux textes de ma base textuelle qui vont très loin. Deux textes que je pense ensemble, qui se répondent et d'une certaine manière s'équilibrent.
Tous ceux qui vont mal ne cessent de remettre à demain, d'ajourner, de différer, de s'inventer des excuses pour ne pas vivre, pour tenter de donner le change alors que le mensonge s'effrite totalement. Parmi ces excuses (erreurs), on trouve très souvent un fameux programme pour "quand je serai vieux"... qui peut prendre les formes : "quand je serai plus vieux" ou "quand je serai à la retraite" (et ce programme contient la plupart du temps tous les vrais désirs de l'homme). Le premier texte que je vous propose, de Foucault (dans Le Souci de soi), démonte minutieusement ce genre de vue mortifère pour inviter l'homme à vivre tout de suite comme s'il était déjà vieux.
Après cette lecture renversante du texte de Foucault, on peut se retrouver un peu sonné tant nous ne sommes pas habitués à prendre les choses sous cet angle (sorte d'apologie de la vieillesse pour dire vite). En règle général, et y compris, dans des textes revendiqués "de sagesse", ce sont plutôt les arguments de la jeunesse (corps et esprit) qui sont donnés. C'est pour ça que je vous ajoute ensuite un texte tout aussi crucial de Krishnamurti. La somme qui apparaît de ces deux textes me semble superbe et permet de se diriger vers une sagesse concrète et complète :
Vivre sa vie comme au dernier jour (Foucault), tout en attendant plus rien de la vie (Foucault), donc "être vieux" de ce point de vue là, mais tout en acceptant de mourir à soi, à son passé, à sa mémoire, et de se renouveler à chaque minute (Krishnamurti), donc "être toujours jeune" de ce point de vue là.
Vous le saviez déjà : vivre, c'est difficile, en voici donc une explication possible, puisqu'il nous faudrait être vieux et jeune en même temps. D'ailleurs cela est bien connu au travers de nombreux proverbes qui disent de mille façons le drame ontologique pour chacun d'entre-nous à ne pas bénéficier des qualités de la vieillesse pendant la jeunesse et inversement. Mais je pense ne pas me tromper en disant que l'on peut réussir à défier ce drame grâce à la philosophie et en ressortir vainqueur.
Alors, allons-y sans plus attendre avec Michel Foucault :
« Le point d'aboutissement, la forme la plus haute du souci de soi, le moment de sa récompense va se trouver précisément dans la vieillesse. Sénèque n'est pas d'accord avec les gens qui découpent leur vie en tranches, et qui n'ont pas la même façon de vivre qu'ils sont à un âge ou à un autre.
Faites comme si vous étiez poursuivi, il faut que vous viviez en hâte, il faut que vous sentiez tout au long de votre vie qu'il y a derrière vous des gens, des ennemis qui vous poursuivent. Ces ennemis, ce sont les accidents, les ennuis de la vie. Ce sont surtout les passions et les troubles que ces accidents peuvent produire chez vous, tant justement que vous êtes jeune ou que vous êtes à l'âge adulte et que vous espérez encore quelque chose, que vous êtes attaché au plaisir, que vous convoitez la puissance ou l'argent. Ce sont là tous les ennemis qui vous poursuivent. Eh bien, devant ces ennemis qui vous poursuivent, il faut que vous fuyiez, que vous fuyiez le plus vite possible. Hâtez-vous vers le lieu qui va vous offrir un abri sûr, c'est la vieillesse. C'est-à-dire que la vieillesse apparaît non plus du tout comme ce terme ambigu de la vie, mais au contraire comme une polarité de la vie, un pôle positif vers lequel il faut tendre.
Il faut vivre pour être vieux, car c'est là que l'on va trouver la tranquillité, que l'on va trouver un abri, que l'on va trouver la jouissance de soi. Cette vieillesse à laquelle il faut tendre, c'est bien-sur la vieillesse chronologique, celle que normalement la plupart des anciens reconnaissaient apparaître à la soixantième année ; mais ce n'est pas simplement cette vieillesse chronologique de la soixantième année, c'est aussi une vieillesse idéale, une vieillesse en quelque sorte que l'on se fabrique, une vieillesse à laquelle on s'exerce. Il faut, si vous voulez, et c'est là le point central de cette éthique nouvelle de la vieillesse, se mettre, par rapport à sa vie, dans un état tel qu'on la vive comme l'ayant déjà achevée. Il faut qu'à chaque moment, au fond, même si nous sommes jeunes, même si nous sommes à l'âge adulte, même si nous sommes en pleine activité encore, nous ayons, par rapport à tout ce que nous faisons et à tout ce que nous sommes, l'attitude, le comportement, le détachement et l'accomplissement de quelqu'un qui serait déjà arrivé à la vieillesse et qui aurait déjà accompli sa vie. Il faut vivre en n'attendant rien de plus de sa vie, et, tout comme le vieillard est celui qui n'attend plus rien de sa vie, il faut, même quand on est jeune, ne rien en attendre. Il faut achever sa vie avant sa mort.
Il faut achever sa vie avant sa mort, il faut accomplir sa vie avant même que soit arrivé le moment de la mort, il faut parvenir à la satiété parfaite, complète, de soi-même. On doit organiser sa vie pour être vieux, on doit se hâter vers la vieillesse, on doit se constituer comme vieux à l'égard de sa vie, même si on est jeune : vivre sa vie comme au dernier jour. »
Et avec Jiddu Krishnamurti :
« La mort est extraordinairement semblable à la vie lorsque nous savons vivre. On ne peut vivre sans, en même temps, mourir. On ne peut pas vivre sans mourir psychologiquement toutes les minutes. Cela n'est pas un paradoxe intellectuel, je dis bien que pour vivre complètement, totalement, chaque journée, en tant qu'elle présente une beauté toute neuve, on doit mourir à tout ce qu'était la journée d'hier, sans quoi on vit mécaniquement et l'on ne peut savoir ce qu'est l'amour, ce qu'est la liberté.
En général, nous avons peur de mourir parce que nous ne savons pas ce que veut dire vivre. Nous ne savons pas vivre, et, par conséquent, nous ne savons pas mourir. Tant que nous aurons peur de la vie, nous aurons peur de la mort. L'homme que la vie n'effraie pas ne craint pas de se trouver dans une insécurité totale, car il sait qu'intérieurement, psychologiquement, il n'y a pas de sécurité.
Ne pas rechercher une sécurité, c'est participer à un incessant mouvement où la vie et la mort sont une seule et même chose. L'homme qui vit sans conflits, qui vit en présence de la beauté et de l'amour, ne craint pas la mort, car aimer c'est mourir.
Si vous mourez à tout ce que vous connaissez, y compris votre famille, votre mémoire, et à tout ce que vous avez vécu, la mort devient une purification, un processus de rajeunissement ; elle confère une innocence et seuls les innocents sont passionnés, non les croyants, ni ceux qui cherchent à savoir ce qu'il advient après la mort.
Pour savoir réellement ce qui se produit lorsqu'on meurt, on doit mourir… Cela n'est pas une plaisanterie : on doit mourir, non pas physiquement, mais intérieurement, mourir à ce que l'on a chéri et à ce qui a provoqué de l'amertume. Si l'on a su mourir a l'un des plaisirs que l'on a eus, le plus insignifiant ou le plus intense, peu importe, mais d'une façon naturelle, sans contrainte ni argumentation, on sait ce que veut dire mourir.
Mourir c'est se vider totalement l'esprit de ce que l'on est, c'est se vider de ses aspirations, des chagrins et des plaisirs quotidiens. La mort est un renouvellement, une mutation, où n'intervient pas la pensée qui est toujours vieille. Lorsque se présente la mort, elle apporte toujours du nouveau. Se libérer du connu c'est mourir, et alors on vit. »
Bon courage à tous,
Et vive la Révolution.
Sylvain
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