Contes pédagogiques et Saynètes
Un prof et une étudiante se déscolarisent.
Pour détendre un peu l'atmosphère de ce TERRIBLE site internet ^^ (détente déjà amorcée avec l'incroyable suite de la fable du Colibri), je vous propose le texte d'une petite saynète de mon cru : un prof et une étudiante se déscolarisent...
MOTIFS FLORAUX
LE PROFESSEUR. Quel est le motif de votre absence ?
L’ÉTUDIANTE. Floral
LE PROFESSEUR. Un motif floral ?!! Mais vous plaisantez ?!
L’ÉTUDIANTE. Pas du tout, je m'occupais de mes fleurs.
LE PROFESSEUR. Ce n'est pas un bon motif ça !
L’ÉTUDIANTE. Ha bon ? Vous n'aimez pas les motifs floraux ? C'est rare.
LE PROFESSEUR. Si ! Mais pas en la circonstance ! Je vous prie de motiver, autrement, votre absence.
L’ÉTUDIANTE. Eh bien, c'est que je n'étais pas très motivée.
LE PROFESSEUR. Je m'en étais rendu compte figurez-vous, ici, vous faisiez un peu tapisserie depuis un moment déjà.
L’ÉTUDIANTE. Ha bon !!
LE PROFESSEUR. Et cette fois, vous n'étiez vraiment pas motivée du tout... et donc vous ne vous êtes pas mue du tout ?
L’ÉTUDIANTE. Je ne suis pas venue, oui.
LE PROFESSEUR. Mais pourquoi ?
L’ÉTUDIANTE. Eh bien laissez-moi essayer de motiver mon motif
LE PROFESSEUR. Le floral ?
L’ÉTUDIANTE. Oui, celui qui m'a rendu encore moins motivée que d'habitude.
LE PROFESSEUR. Eh bien essayez !
La faute aux écureuils!!!
Connaissez-vous l'histoire du nuciculteur et de l'écureuil cendré ? Non ?
Moi non plus, je vais donc l'inventer...
De tout temps, jusqu'à il y a peu, nuciculteurs et écureuils vivaient en bonne entente. De fait, avant d'être étiqueté nuciculteur, notre bonhomme aimait simplement les noyers... Il en ramassait les fruits, les faisait sécher pour l'hiver, et sa maison était faite des planches de cet arbre. Sa vie, somme toute, ne différait que peu de celle de l'écureuil cendré. Ils se croisaient de temps à autre et une certaine compréhension s'était établie entre eux. Chaque année, l'un et l'autre laissaient quelques noix, tombées de la poche ou oubliées dans une petite réserve enterrée, si bien que de nouveaux arbres poussaient, et tout était simple.
Mais le précepteur d'impôts est arrivé. Avec son escorte de gardes armés, il a réclamé une grande partie de la récolte. Les offrandes des noyers ne suffisaient plus à nourrir l'homme, l'écureuil et le précepteur d'impôts. Sous la menace, il a fallu planter de nouveaux arbres, et surveiller les récoltes. Lors d'une visite, le précepteur d'impôts a collé l'étiquette de nuciculteur à notre amateur de noyers, avec un protocole strict à respecter pour « exploiter » ses plantations... Le nuciculteur a même eu l'air flatté, ce nouveau mot lui plaisait bien. L'écureuil cendré, d'un œil curieux, a observé du haut de son arbre le manège qui se jouait en bas, puis, lassé par la monotonie du discours, est parti cueillir de nouvelles noix.
Le nuciculteur s'est mis à travailler dur, beaucoup ; chaque jour un peu plus. Son caractère a changé. Il devenait acariâtre et aigri. Le jour où le précepteur d'impôts est revenu pour emmener son enfant, car l'école était devenue obligatoire, il a acquiescé sans protester : laisser le choix à son fils entre planter des arbres et devenir précepteur d'impôts, c'était là la moindre des libertés qu'il pouvait lui octroyer: le travail au champ était dur.
L'écureuil cendré ? Il continuait à glaner ses noix, à bondir d'arbre en arbre, à dormir en hiver au creux d'un vieux noyer.
Puis les choses se sont gâtées... Le nuciculteur, tout affairé qu'il était, en avait oublié son petit compagnon. Un jour qu'il était particulièrement las, irrité et fragile, et qu'il rentrait de son écrasante journée de labeur, il aperçut le petit écureuil au pied d'un arbre ; il grignotait une noix.
C'est depuis lors que l'écureuil cendré est devenu le souffre-douleur du nuciculteur.
Quoi, il allait devoir travailler deux fois plus parce que ce parasite lui volait la récolte ?
Quoi, pendant que lui s'échinait et se brisait le dos à la tâche, l'écureuil sautait de branche en branche ?
Quoi, alors qu'en ce matin de janvier, il était debout avant l'aurore, l'écureuil dormait au chaud dans un arbre ?
C'en était insupportable... L'un et l'autre ne pouvaient cohabiter en bonne entente. Et bien sûr, c'était à l'écureuil de quitter la noiseraie, puisqu'en tant que nuciculteur, il en était l'exploitant légal.
Il en parla au précepteur d'impôt pour justifier sa maigre récolte. Celui-ci lui remit une cage et lui dit qu'en compensation il voulait l'écureuil cendré lors de sa prochaine visite; pour l'exemple dit-il.
Le nuciculteur tenta tant bien que mal d'attraper l'animal. On connaît la ruse de l'écureuil cendré. Il était déjà en lieu sûr...
Le nuciculteur cherche encore... Il peut chercher longtemps ! Il trouvera peut-être un autre écureuil à qui faire porter la faute de sa triste condition. Espérons pour lui qu'un jour il se tournera vers les vraies causes de son mal-être...
...
Cette trop grande constance de l'humain à occulter l'origine des souffrances pour les faire porter à des sujets inoffensifs m'épouvante ; on la retrouve dans tant de domaines ! Le but de cet article est d'inviter à la réflexion sur cette tendance toxique qui nous pousse à blanchir l'oppresseur pour lester l'opprimé de toutes les fautes. De nouveau, il s'agit de renverser totalement nos façons de faire, pour s'émanciper réellement des contraintes qui pèsent sur nous. De façon peut-être un peu éparpillée, je voudrais dresser une liste des multiples répercussions de cette étrange façon de faire.
"Désir de voir autrui souffrir ce qu'on souffre, exactement. C'est pourquoi, sauf dans les périodes d'instabilité sociale, les rancunes des misérables se portent sur leurs pareils. C'est là un facteur de stabilité sociale." Simone Weil
Des bibliothèques d’un genre nouveau…
« - Raconte-nous, Grand-mère Luna, comment c'était, les bibliothèques quand tu étais petite ! Il nous reste un peu de temps avant qu'Enéa nous parle des musaraignes qu'elle a observées dans son jardin !
- D'accord, mais je signale seulement que l’atelier d’écriture d’un conte médiéval va commencer à côté pour ceux qui voudraient y participer...
- Oui, oui... Camille y est allé !
- Alors… Au même endroit que là où nous sommes aujourd'hui, il y avait des tables, séparées les unes des autres, où chacun en silence étudiait, seul.
- Un peu comme la partie silencieuse de la bibliothèque ?
- Oui, c'est exactement ça, sauf qu'on devait chuchoter dans la totalité de la bibliothèque, même dans l’actuel petit théâtre au rez-de-chaussée. Quand on entrait ici, on faisait des recherches pour soi. Au mieux, on pouvait venir par petits groupes de trois ou quatre, faire des recherches sur des sujets bien précis.
- Mais c'est très peu !
- Oui. Pour des échanges plus larges, chacun restait chez soi, derrière son ordinateur, à communiquer par écrans interposés avec les autres curieux qui cherchaient à s'émanciper là où ils le pouvaient, comme ils le pouvaient.
- C'est bizarre !
- Tu sais Firmin, les gens étaient scolarisés, il faut bien le comprendre. C'est difficile pour vous aujourd'hui. Ils prenaient très peu d'initiatives par eux-mêmes. Quand quelqu'un venait faire une recherche sur un sujet, c'est bien souvent parce qu'on lui avait demandé, dans le cadre de ses études. C'était le professeur qui décidait de ce qui devait être appris !
- Et ils acceptaient ?!!
- Oui. Les enfants, dès leur plus jeune âge étaient forcés d'aller à l'école avec un unique professeur qui décidait à leur place. Même s'ils pleuraient pour protester, on les obligeait. On les grondait. Au bout de plusieurs semaines, plusieurs mois, ils avaient bien compris qu'ils n'avaient pas le choix. Alors ils étaient résignés. Et comme tout le monde passait par là, ils pensaient que c'était normal.
- Et il n'y avait rien d'autre que le silence dans la bibliothèque ? Ça devait être triste !
- Oui, c'était triste... Quelques fois, très rarement, il y avait quelqu'un qui venait parler d'un écrivain, ou une conteuse qui venait raconter des histoires aux enfants.
- C'étaient les enfants, les gens qui les faisaient venir ?
- Oh, non, rappelez-vous bien que les gens ne disposaient d'aucun pouvoir de décision. C'était le personnel de la bibliothèque qui choisissait qui devait intervenir, ou non.
- Et si ça ne plaisait pas aux gens ?
- Ça ne changeait rien ! D'ailleurs, comme les gens n'avaient pas l'habitude de décider, ils trouvaient ça normal que quelqu'un s'occupe de la programmation.
- Et si quelqu'un voulait parler de sa passion, comme Guillaume tout à l'heure avec les motifs celtes ou Juliette sur le squelette humain?
- Ah!Ah!Ah ! Non, rien de tout ça.
- Mais, c'était nul !
- Oui.
- Il n'y avait pas de fauteuils, ni de tapis, ni de coussins ?
- Quelques-uns, à l'étage dévolu aux enfants. Les adultes n'avaient pas ce confort. L'aménagement a évolué quand les décisions sont devenues collectives. Quand les gens ont spontanément donné leur avis, il a été choisi d'installer des tapis à certains endroits, de mettre des fauteuils confortables et des petites lumières douces. C'est à partir de là que les choses ont changé. Quand un groupe de personnes, chaque jour plus nombreux, a décidé de devenir autonome et de choisir de quelle manière ils voulaient apprendre et partager. Petit à petit, la bibliothèque est devenue le lieu vivant dans lequel nous sommes aujourd'hui, et plus un musée rigide et froid comme avant.
- Ah ! Voilà, Enéa arrive. Je crois qu'elle a collecté des informations passionnantes à propos des musaraignes et leur interaction avec certaines plantes dans son jardin... Je vais m'assoir avec vous pour l'écouter... »
***
Chers habitants de la Cité Chambérienne,
Aujourd’hui, les bibliothèques sont à l’image du reste : absence de convivialité et de vivre-ensemble, froide mécanique au service de la consommation individuelle. Qui passe la porte d’une bibliothèque est renvoyé à lui-même, comme si la lecture était un acte de solitude, de silence, de repli sur soi, de consommation. Comme si le concept de livre nous séparait les uns des autres alors qu’il devrait provoquer exactement l’inverse.
Les bibliothèques devraient être des Maisons du peuple, des « écoles » du citoyen, par les citoyens, pour les citoyens. La lecture, les livres, les mots, les langues, les savoirs, les histoires, les idées, les pensées, devraient être des supports, des prétextes à la rencontre des autres, au jaillissement de la parole libre, du dialogue, pour nous rapprocher. Au partage tous azimuts.
Oui, nous sommes en droit d’imaginer des bibliothèques d’un genre nouveau qui n’ont rien à voir avec celles d’aujourd’hui qui ne sont ni conviviales, ni populaires, ni citoyennes.
Nous disposons désormais de preuves indubitables concernant une volonté de partage et de transindividuation égalitaire absolument monumentale : Internet. L’écart astronomique qui existe entre ce qui est présent librement et égalitairement sur le web et le vide abyssal correspondant dans les structures institutionnelles et la vie réelle, est en train de se voir… comme un éléphant dans une bibliothèque ! Mais pourquoi l’humanité vivrait-elle sur Internet ? C’est quoi cette nouvelle imbécilité ? Pourquoi l’humanité pense, débat, dialogue, échange, témoigne, s’indigne, se révolte, dénonce, commente, partage, montre, souffre, parle, écrit, explique, démontre, raconte, par écrans interposés, chacun replié dans sa sphère privée ? Quelle est donc cette nouvelle imposture à dévisser de toute urgence ?!
Nous sommes en droit d’imaginer des bibliothèques d’un genre nouveau, qui soit comme Internet, mais sans Internet ! Et après avoir imaginé, nous sommes en droit de désirer et de mettre en œuvre. C’est pourquoi nous serions ravis de recevoir vos témoignages concernant la bibliothèque de vos rêves afin de constituer un élan de désir collectif.
Sylvain Rochex : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. et Mathilde Anstett : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
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